Dans un système judiciaire souvent critiqué pour sa lenteur, la procédure de référé constitue un mécanisme d’urgence permettant d’obtenir rapidement une décision de justice provisoire. Cette voie procédurale représente un atout majeur pour les justiciables confrontés à des situations nécessitant une intervention judiciaire immédiate. Régie principalement par les articles 484 à 492 du Code de procédure civile, elle permet au juge des référés de prendre des mesures provisoires sans préjuger du fond du litige. Sa particularité réside dans sa rapidité d’exécution et sa nature non définitive, offrant ainsi une solution temporaire mais efficace face à l’urgence.
Les conditions fondamentales du recours au référé
La procédure de référé repose sur des conditions préalables précises qui déterminent sa recevabilité. L’article 484 du Code de procédure civile définit le référé comme une procédure permettant d’obtenir des mesures provisoires qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. La condition d’urgence constitue généralement le socle de cette procédure, bien qu’elle ne soit pas systématiquement exigée dans tous les cas de référé.
L’urgence s’apprécie in concreto par le juge et se caractérise par une situation qui ne peut attendre une procédure au fond. Elle traduit la nécessité d’une intervention judiciaire rapide pour éviter un préjudice imminent. La jurisprudence a progressivement affiné cette notion : il s’agit de circonstances qui exigent qu’une décision soit prise à bref délai pour prévenir un dommage ou faire cesser un trouble manifestement illicite.
Outre l’urgence, deux autres fondements peuvent justifier le recours au référé :
- L’existence d’un trouble manifestement illicite (article 835 du Code de procédure civile) permettant au juge d’ordonner les mesures nécessaires pour faire cesser ce trouble
- La prévention d’un dommage imminent autorisant le juge à prendre des mesures conservatoires pour éviter la survenance du préjudice
L’absence de contestation sérieuse constitue une autre condition fondamentale. Le juge des référés ne peut trancher au fond un litige complexe nécessitant un examen approfondi des droits des parties. Si une contestation sérieuse existe, le juge doit renvoyer l’affaire au juge du fond, sauf s’il peut fonder sa décision sur un autre critère comme l’urgence ou le trouble manifestement illicite.
Les différentes formes de référé dans le système juridique français
Le système juridique français distingue plusieurs types de référés, chacun répondant à des situations spécifiques et obéissant à des règles procédurales particulières. Le référé classique ou référé général, prévu par l’article 835 du Code de procédure civile, constitue la forme la plus commune. Il permet au président du tribunal judiciaire d’ordonner toutes mesures provisoires justifiées par l’urgence, l’existence d’un trouble manifestement illicite ou la prévention d’un dommage imminent.
Le référé-provision, encadré par l’article 835, alinéa 2, du Code de procédure civile, autorise le juge à accorder une provision au créancier lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Cette procédure s’avère particulièrement utile dans les litiges commerciaux ou en matière de responsabilité civile, permettant à la victime d’obtenir rapidement une somme d’argent avant même que le fond de l’affaire ne soit jugé.
Le référé-instruction, prévu par l’article 145 du Code de procédure civile, permet d’ordonner des mesures d’instruction légalement admissibles avant tout procès si existe un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Cette procédure, fréquemment utilisée, permet notamment d’obtenir une expertise judiciaire ou la production de documents.
D’autres formes de référé existent pour répondre à des besoins procéduraux particuliers :
- Le référé-heure par heure, permettant en cas d’extrême urgence d’assigner à heure fixe, y compris les jours fériés ou chômés
- Le référé précontractuel en matière de marchés publics, visant à sanctionner les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence
Certaines juridictions spécialisées disposent de leurs propres procédures de référé, comme le conseil de prud’hommes pour les litiges du travail ou le tribunal de commerce pour les différends entre commerçants. Ces procédures spécifiques s’adaptent aux particularités contentieuses de chaque domaine tout en conservant les caractéristiques essentielles du référé : rapidité et caractère provisoire.
Le déroulement procédural d’une action en référé
La procédure de référé se caractérise par sa simplicité procédurale et sa rapidité d’exécution, tout en respectant les principes fondamentaux du procès équitable. L’introduction de l’instance s’effectue par voie d’assignation, acte d’huissier qui doit contenir, à peine de nullité, les mentions obligatoires prévues par les articles 56 et 648 du Code de procédure civile. Cette assignation doit préciser les circonstances qui justifient le recours au référé, qu’il s’agisse de l’urgence, d’un trouble manifestement illicite ou d’un dommage imminent.
Les délais d’assignation sont considérablement réduits par rapport à une procédure ordinaire. En principe, le défendeur doit être assigné à comparaître devant le juge des référés avec un délai minimum de 15 jours entre la date de l’assignation et celle de l’audience. Toutefois, en cas d’urgence extrême, le président peut autoriser à assigner à heure indiquée, même les jours fériés ou chômés (référé d’heure à heure), conformément à l’article 485 du Code de procédure civile.
L’audience de référé se déroule selon un formalisme allégé. Les parties comparaissent en personne ou représentées par un avocat, selon les règles de représentation applicables devant la juridiction concernée. Le principe du contradictoire s’applique pleinement : chaque partie doit avoir la possibilité d’exposer ses arguments et de répondre à ceux de son adversaire. Le juge des référés dispose d’un pouvoir d’instruction étendu et peut ordonner toute mesure d’instruction qu’il estime nécessaire.
À l’issue de l’audience, le juge rend une ordonnance de référé, qui doit être motivée et contenir les éléments prévus à l’article 455 du Code de procédure civile. Cette ordonnance est exécutoire de plein droit à titre provisoire, conformément à l’article 489 du même code. Elle peut être assortie de l’exécution sur minute, permettant son exécution immédiate, avant même sa signification. L’ordonnance est susceptible d’appel dans un délai de 15 jours à compter de sa signification, sauf disposition contraire.
La force juridique des ordonnances de référé et leurs effets
L’ordonnance de référé présente des caractéristiques juridiques singulières qui la distinguent des jugements au fond. Son principal attribut réside dans son caractère provisoire, clairement énoncé par l’article 484 du Code de procédure civile : elle n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée. Concrètement, cette décision ne règle pas définitivement le litige et peut être remise en cause par le juge du fond, qui reste libre d’apprécier différemment la situation.
Cependant, cette provisoireté n’affecte pas l’efficacité immédiate de l’ordonnance. En vertu de l’article 489 du Code de procédure civile, elle bénéficie de l’exécution provisoire de droit. Cette caractéristique fondamentale permet son exécution immédiate, nonobstant l’exercice des voies de recours. Le juge des référés peut même ordonner l’exécution sur minute, permettant au bénéficiaire de la décision d’en obtenir l’exécution instantanée, avant même sa signification à la partie adverse.
L’ordonnance de référé produit des effets juridiques substantiels. Elle crée une situation de droit temporaire qui s’impose aux parties jusqu’à ce qu’une décision au fond soit éventuellement rendue. En pratique, de nombreux litiges trouvent leur résolution définitive à ce stade, les parties acceptant la solution provisoire comme règlement final de leur différend. Selon les statistiques du Ministère de la Justice, plus de 60% des procédures de référé ne donnent pas lieu à un contentieux ultérieur au fond.
Toutefois, l’ordonnance de référé reste soumise aux voies de recours ordinaires. Elle peut faire l’objet d’un appel dans un délai de quinze jours à compter de sa signification. Cet appel n’est pas suspensif, sauf si le premier président de la cour d’appel, saisi par requête, décide d’arrêter l’exécution provisoire lorsqu’elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives. Dans certains cas exceptionnels, l’ordonnance peut également faire l’objet d’un pourvoi en cassation, notamment lorsque le juge des référés a excédé ses pouvoirs.
L’art stratégique du référé : tactiques et pièges à éviter
Maîtriser la procédure de référé constitue un atout stratégique pour tout praticien du droit. Son utilisation judicieuse peut créer un avantage décisif dans un litige en obtenant rapidement une décision favorable, susceptible d’influencer profondément la suite du contentieux. La première règle tactique consiste à évaluer avec précision l’opportunité de recourir au référé plutôt qu’à une procédure au fond. Cette analyse doit prendre en compte la nature de l’urgence, la solidité des arguments juridiques et l’existence potentielle d’une contestation sérieuse.
La rédaction de l’assignation représente un moment crucial. Elle doit caractériser avec exactitude les conditions d’ouverture du référé invoqué et contenir une démonstration rigoureuse de l’urgence, du trouble manifestement illicite ou du dommage imminent. Une erreur fréquente consiste à se concentrer excessivement sur le fond du litige au détriment des conditions spécifiques du référé, conduisant souvent à un rejet pour défaut de caractérisation de ces conditions.
La préparation de l’audience requiert une attention particulière. Le temps d’intervention étant limité, il convient de privilégier un exposé oral concis et percutant, centré sur les éléments déterminants du référé. La constitution du dossier de plaidoirie doit faciliter le travail du juge en hiérarchisant les pièces et en mettant en évidence celles qui établissent les conditions du référé. L’expérience montre que les juges des référés, confrontés à des rôles chargés, apprécient particulièrement les dossiers structurés avec clarté.
Certains écueils doivent être évités avec vigilance :
- La confusion entre urgence et précipitation, conduisant à des dossiers insuffisamment préparés
- L’inadéquation entre les mesures sollicitées et les pouvoirs du juge des référés, notamment lorsque les demandes s’apparentent à un préjugement du fond
Une utilisation stratégique du référé implique parfois de l’intégrer dans une séquence procédurale plus large. Ainsi, le référé-instruction peut précéder utilement une action au fond en permettant de réunir des preuves décisives. De même, l’obtention d’une provision substantielle en référé peut créer une pression financière incitant l’adversaire à négocier un règlement amiable du litige. La jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cass. civ. 2e, 10 septembre 2020, n°19-12.311) confirme d’ailleurs la possibilité d’articuler habilement différentes procédures de référé pour maximiser leur efficacité.
